Fugue en fjord majeur
Un tour cycliste du Saguenay et du lac Saint-Jean
10 jours
Le projet
Il s’agissait sans doute de ma bulle au cerveau la plus pétillante de l’année… ou de la plus stupide : le tour du lac Saint-Jean, à vélo comme il se doit, mais avec un départ déporté de plusieurs centaines de kilomètres, sur les berges rocheuses du fleuve, à Tadoussac.
Sans entraînement sérieux et sur un bicycle un peu croche qui faisait rire mes chums qui rident du carbone.
Les cols du fjord, à l’aller comme au retour, pour tester la solidité de mes poumons et celle de mes illusions. Au creux de mes sacoches, un Maria Chapdelaine d'occasion et un appareil argentique Olympus OM-10 sorti du fond d’un grenier.
Jour 1 - 1/9/2025
Marguerite sauvage
Vallée de la Sainte-Marguerite
Lac Résimond
Montagne du Chapeau
58 km, 430 m
5 km, 200 m
La vallée de la Sainte-Marguerite à partir de la montagne du Chapeau
Sacré-Cœur, Sainte-Marguerite, Sainte-Rose : la toponymie de la rive nord du Saguenay se lit comme un pamphlet de propagande adressé aux colons pieux du 19e .
Était-il vraiment nécessaire d’enfler par le verbe un territoire dont la majesté brute suffisait à justifier les peines qu'allaient s’infliger les défricheurs?
J’amorce mon tour cycliste du SagLac en traversant la vallée de la Sainte-Marguerite, ancienne rivière de drave.
Sous une chaleur épaisse, la route s’enfonce entre d’imposants versants sapinés, déchirés de crans rocheux. L'air tremble sur l'asphalte. Les montagnes, aux profils doux et asymétriques, semblent s’étendre à l’infini : vastes, souveraines, silencieuses.
Je croise des bandes de motocyclistes — signe discret d’un chemin fidèle aux voyageurs sur deux roues. Par la fenêtre de son camion, un homme me tend une bouteille d’eau. Fraternité des marges.
Sans doute étourdi par une insolation, je me prends trop au sérieux. Sur ma selle, j’improvise une prose d’ombre et de lumière, dans le ton dramatique de Cormac McCarthy : les hauts rangs d’épinettes déchiquettent une clarté crue et jettent sur la route les ossements sombres de ce qui fut, de ce qui est et de ce qui ne sera jamais…
Le lac Résimond me ramène sur terre. J’essuie mes yeux brûlés par la crème solaire et la sueur; quand ma vision revient, la réalité s’impose, absurde et limpide : une plage de sable, incongrue ici, aux confins de nulle-part. Et sous mon regard incrédule flotte une énorme licorne multicolore gonflable, chevauchée par trois plaisanciers dérivant lentement, bière en main.
Préparatifs finaux à Sacré-Coeur
La rivière Sainte-Marguerite est une puissante bête de trait qui charrie des blocs de pierre gros comme des boeufs
Jour 2 - 2/9/2025
Déboires à Sainte-Rose
Sainte-Rose-du-Nord
Saint-Fulgence
53 km
935 m
3 km
145 m
Foutu.
Je viens à peine de partir et mon voyage est déjà foutu.
Bin oui. Ma caméra OM-10 est restée accidentellement ouverte dans mon sac et sa batterie est morte.
Aucune chance de trouver une pile spécialisée dans un dépanneur de village.
C’est facile de s'la jouer artiste spontané, avant que l'imprévu ne déjoue les plans.
Pas question que les rouleaux de pellicules que je transporte précieusement demeurent vierges, inutilisés.
Me voici donc à Sainte-Rose-du-Nord, village isolé et pittoresque du fjord, et au lieu de m'émerveiller devant des sculptures d’inspiration scandinaves, je suis au téléphone avec le BMR de Saint-Fulgence pour savoir s'ils tiennent des piles LR44 en stock (la réponse était non).
Déçu, amer, j’évalue les possibilités.
Commander en ligne? Trop long.
Le secours d’un ami de Chicout? De la triche.
Revenir shooter en voiture après le trip de vélo? Pas assez authentique.
Prendre la caméra de mon cell? Ce n’est pas avec un vulgaire Android que je deviendrai le prochain Ansel Adams.
Tous les scénarios dénaturent mon projet, qui est d’intégrer fidèlement la photographie argentique à l’aventure.
À court d’options, j’explore les sentiers locaux à la recherche d’une idée, d’un signe.
Sur un promontoire dominant l’anse, je découvre une croix de bois gravée d’un message en lettrage celtique : « Le serpent mord celui qui le touche. L'homme empoisonné devient faible ».
Qu’est-ce que je suis censé faire avec ça?
Plus bas, à la Descente des femmes, site de légendes autochtones, un corbeau se moque du haut d’un bouleau, comme l’oracle sinistre d’une tireuse de cartes.
Au village, je rencontre Edgar, enseignant Allemand à la retraite et aspirant bûcheron qui me demande où acheter une chemise à carreaux.
Accoté à une bite d’amarrage, mon vélo semble léviter. Sa fine silhouette bleu métallique se détache fièrement devant le biseau granitique, imperturbable, du Cap à l’Est.
Demain, je pédalerai jusqu’à Chicoutimi.
Jour 3 - 3/9/2025
LR44
Chicoutimi
Monts Valins
55 km
630 m
4 km
100 m
Hugo Drouin est un aventurier rêveur et solitaire ; parfois dans la lune, plus souvent en train d'échafauder des plans pour s'y rendre.
Après avoir raconté l'histoire des pionniers de l'escalade au Québec dans Roche, glace et fleurdelisé, il consigne ses propres errances dans le présent blogue.
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