Automne 2009. Olivier Plante et Nicolas Rodrigue terminent l’ascension d’Advienne que pourra, en plein centre de l’imposante proue du Grand Morne, en Beauce. Après l’avoir rêvée pendant des années. Après s’y être entraîné. Après avoir inspecté l’itinéraire à quelques reprises. Ils viennent de mettre la touche finale au projet. Une spectaculaire première. Sur un bouclier de rocher déversant de grande classe. Au sommet de la colline boisée, l’émotion est palpable. Ils ne sont pas qu’au sommet du Morne. Ils sont au sommet du monde! Les téléspectateurs, qui ont suivi toutes les étapes de la planification de l’ascension en direct sur leur téléviseur, partagent maintenant ce grand moment d’émotion. Galvanisés par l’événement, une fillette de huit ans et son petit frère sont déjà sous la table de la cuisine. Ils tentent la première ascension de ce qui est sans aucun doute le plus gros dévers de la maison. Leur grand-papa les regarde, sourire en coin. Il s’imagine déjà être le papi d’un futur Chris Sharma ou d’une future Lynn Hill.
Mais Heeeee ! Non ! À l’automne 2009, il n’y avait aucune caméra au Morne pour faire vivre l’événement en direct. Pas plus qu’il n’y a eu de caméra le jour du premier M10 d’Audrey Gariépy. Ou même le jour de l’ascension de cet époustouflant bloc déversant de Portneuf par Benoît Dubois. Au Québec, la grimpe n’est pas une activité qui attire l’attention des grands médias. Imaginez toutefois une retransmission de ces moments magiques en direct dans votre téléviseur, sur Facebook ou dans votre grille-pain. L’émotion du dernier mouvement et l’arrivée au sommet, captées en direct. Il y aurait de quoi construire les bases d’un solide imaginaire collectif de la grimpe.
C’est justement après avoir vécu et entendu raconter quelques-uns de ces moments magiques qu’Hugo Drouin a commencé à vraiment s’intéresser à l’histoire québécoise de l’escalade. Ont suivi des années de recherche minutieuses. Des dizaines de rencontres et de lectures dans le but de dénicher des petits bouts d’aventures, vécus et racontés par diverses grimpeuses et grimpeurs. Hugo a ensuite réussi à tisser des liens entre ce qui n’était, au départ, que des actions individuelles sans but collectif. Des petits brins de vie qu’il a tricotés bien serré pour en faire un récit cohérent, une belle et grande Histoire fleurdelisée pure laine.
C’est autour des repousseux de limites, ces artistes du vertical qui ont tenté de réinventer l’escalade dans la Belle Province, d’en redéfinir les frontières, qu’Hugo a choisi de dessiner cette Histoire. Il y a les frontières du possible et de la difficulté, qui ne cessent de s’étendre, d’une génération de grimpeuses et de grimpeurs à l’autre. Il y a aussi les frontières géographiques. Les cascades, parois et blocs explorés par les coureurs des bois de la verticale se retrouvent maintenant de l’Outaouais à la Gaspésie en passant par l’Abitibi, Lanaudière et l’île d’Anticosti. Du premier au dernier chapitre du livre, les années passent et vous pourrez tranquillement voir l’action se déplacer des Laurentides vers l’Est et le Nord.
Un topo d’escalade présente tout autant ce qui a été gravi qu’il souligne ce qui ne l’a pas été. De la même manière, en racontant des bouts de ce qui a déjà été fait au Québec dans l’univers de la grimpe, Roche, glace et fleurdelisé souligne du même coup ce qui ne l’a pas été. Alors, soyez attentifs à ce qui n’est pas encore. Sachez lire entre les lignes et vous pourrez probablement y discerner l’avenir. Peut-être même un petit bout du vôtre. Mais lorsque vous vous lancerez vers le sommet de parois, stimulés par la lecture de ces histoires et anecdotes, rappelez-vous que si vous grimpez, c’est avant tout pour vous. Parce que, dans le fond, comme l’ascension d’une table de cuisine par de jeunes enfants, l’escalade n’est qu’un jeu. Même si plusieurs conquérants de l’inutile s’y consacrent corps et âme. Si vous demandez à ceux qui vous aiment ce qu’ils pensent de vos sorties de grimpe, invariablement, ils vous répondront que ce qui compte le plus pour eux dans tout ça, ce n’est pas le sommet. Que vous ayez sendé ou pas votre projet, le plus important, c’est que vous rentriez à la maison une fois l’aventure terminée. Bonne lecture.
Bonne découverte. Beaux rêves. Bonne grimpe !
Stéphane Lapierre
Auteur du Guide des cascades de glace et voies mixtes du Québec